La victime d’un accident du travail a droit, dans tous les cas, à une indemnisation forfaitaire constituée par la prise en charge intégrale de ses frais médicaux, à un maintien de son salaire, et à une rente ou un capital en cas d’invalidité résultant de l’accident.
En outre, si cet accident trouve sa cause dans une faute intentionnelle de son employeur, ou une faute d’un tiers, elle a droit à l’indemnisation intégrale de son préjudice. En revanche, l’indemnisation de la victime d’une faute inexcusable commise par son employeur, n’a droit qu’à une indemnisation partielle.
Dans ce cas, selon l’article L 452-3 du Code de la Sécurité Sociale :
« indépendamment de la majoration de rente qu’elle perçoit en vertu de l’article précédent, la victime a le droit de demander à l’employeur, devant la juridiction de Sécurité Sociale, la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétique et d’agrément, ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle ».
De ce fait, elle est loin d’obtenir l’indemnisation de la totalité de ses préjudices tels qu’ils peuvent être fixés par la nomenclature DINTILHAC. Il y a donc là une profonde injustice, puisque la victime d’une faute inexcusable est nettement moins bien indemnisée que celle d’un accident de droit commun.
Les juridictions de Sécurité Sociale avaient tenté d’en limiter les conséquences en majorant le quantum des quelques préjudices qu’elles pouvaient indemniser, ou également en indemnisant séparément les souffrances physiques et les souffrances morales, ou encore en entendant de façon extensive, la définition du préjudice d’agrément. Malgré tout, les victimes étaient loin d’être correctement indemnisées.
Le Conseil Constitutionnel a été saisi le 10/05/10 par la Cour de cassation dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L 451-1 et L 452-1 à L 452-5 du Code de la Sécurité Sociale.
Dans sa décision du 18/06/10, il a tout d’abord considéré :
« Qu’en application des dispositions du titre II du livre IV du Code de la Sécurité Sociale, les prestations en nature, nécessaires aux victimes d’accidents du travail, ou de maladies professionnelles, sont totalement prises en charge et payées par la Caisse d’Assurance Maladie ; que durant la période d’incapacité temporaire, la victime reçoit des indemnités journalières qui suppléent à la perte de son salaire ; que lorsqu’elle est atteinte d’une incapacité permanente, lui est versé une indemnité forfaitaire calculée en tenant compte notamment du montant de son salaire et du taux de son incapacité ; qu’en dépit de sa faute, même inexcusable, ce droit à réparation est accordé aux salariés dès lors que l’accident est survenu par le fait ou à l’occasion du travail, pendant le trajet vers ou depuis son lieu de travail, ou en cas de maladie d’origine professionnelle ; que quelle que soit la situation de l’employeur, les indemnités sont versées par les caisses d’assurance maladie aux salariés ou en cas de décès à ses ayants-droit ; que ceux-ci sont ainsi dispensés d’engager une action en responsabilité contre l’employeur et de prouver la faute de celui-ci ; que ces dispositions garantissent l’automaticité, la rapidité et la sécurité de la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles ; qu’elles prennent également en compte la charge que représentent l’ensemble des prestations servies ; que par suite, en l’absence de faute inexcusable de l’employeur, la réparation forfaitaire de la perte de salaire ou de l’incapacité, l’exclusion de certains préjudices, et l’impossibilité pour la victime ou ses ayants-droits d’agir contre l’employeur, n’institue pas des restrictions disproportionnées par rapport aux objectifs d’intérêt général poursuivis ».
Cette motivation semble difficilement critiquable, alors spécialement que la victime est indemnisée sans considération de responsabilité, y compris lorsqu’elle est elle-même fautive de manière inexcusable.
Le Conseil Constitutionnel précise ensuite que :
« Lorsque l’accident ou la maladie est dû à la faute inexcusable de l’employeur, la victime, ou en cas de décès ses ayants-droit, reçoivent une majoration des indemnités qui leurs sont dues ; qu’en vertu de l’article L 452-2 du Code de la Sécurité Sociale, la majoration du capital ou de la rente allouée en fonction de la réduction de capacité de la victime, ne peut excéder le montant de l’indemnité allouée au capital ou le montant du salaire ; qu’au regard des objectifs d’intérêt général précédemment énoncés, le plafonnement de cette indemnité destinée à compenser la perte de salaire résultant de l’incapacité, n’institue pas une restriction disproportionnée aux droits des victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles ».
Là-encore, la motivation du Conseil constitutionnel est cohérente.
Enfin, il indique :
« Considérant en outre qu’indépendamment de cette majoration, la victime ou en cas de décès ses ayants-droit, peuvent, devant la juridiction de Sécurité Sociale, demander à l’employeur la réparation de certains chefs de préjudices énumérés par l’article L 452-3 du Code de la Sécurité Sociale ; qu’en présence d’une faute inexcusable de l’employeur, les dispositions de ce texte ne sauraient toutefois, sans porter une atteinte disproportionnée aux droits des victimes d’actes fautifs, faire obstacle à ce que ces mêmes personnes, devant les mêmes juridictions, puissent demander à l’employeur la réparation de l’ensemble des dommages non couverts par le livre IV du Code de la Sécurité Sociale ».
Les victimes ont vu dans cette disposition une possibilité d’obtenir l’indemnisation intégrale de leurs préjudices. Malheureusement, la Cour de cassation a rapidement déçu leurs espérances. Elle a, progressivement, défini la liste des préjudices non visés à l’article L 452-3 et qui sont indemnisables (déficit fonctionnel temporaire total, déficit fonctionnel temporaire partiel, assistance par tierce personne avant consolidation, frais de logement adapté, frais de véhicule adapté, préjudice sexuel, frais d’assistance à expertise).
En revanche, elle a refusé et persiste à refuser d’indemniser le déficit fonctionnel permanent, la tierce personne post-consolidation, les frais médicaux restés à charge, les frais de transport, les pertes de gains professionnels, l’incidence professionnelle, le préjudice de perte de droits à la retraite, et les frais funéraires. Il s’agit donc de postes de préjudices particulièrement importants, qui ne permettent pas à la victime d’être justement indemnisée de l’intégralité de ses préjudices.
Elle a, semble-t-il, définitivement refusé toute possibilité d’évolution dans un arrêt du 21/01/16 en indiquant :
« Mais attendu que les dispositions des articles L 451-1, L 452-1 et L 452-3 du Code de la Sécurité Sociale, qui interdisent à la victime d’un accident du travail, ou d’une maladie professionnelle imputable à la faute inexcusable de l’employeur, d’exercer contre celui-ci une action en réparation conformément au droit commun, et prévoit une réparation spécifique des préjudices causés, n’engendrent ni une atteinte aux biens, ni une discrimination prohibée par l’article 14 de la convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, et l’article 1 du protocole additionnel n° 1 à la convention, du seul fait que la victime ne peut obtenir une réparation intégrale de son préjudice ».
Parallèlement, elle limite de plus en plus la portée de certains postes de préjudice dont elle reconnaît qu’ils sont indemnisables. C’est ainsi par exemple que le préjudice d’agrément depuis un arrêt du 28/02/13 (qui constitue un revirement de jurisprudence) est à nouveau limité à la seule perte par le fait de l’accident de la possibilité de « continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique, sportive ou de loisirs ».
De même, son interprétation de l’existence de la perte ou la diminution des possibilités de promotions professionnelles, est extrêmement restrictive et limitée. Les exégètes s’interrogent sur le sens de la position de la Cour de cassation qui considère qu’elle n’a pas la possibilité d’interpréter autrement la décision du Conseil Constitutionnel du 18/06/10 et l’article L 452-3 du Code de la Sécurité Sociale.
Dans l’un de ses rapports annuels, elle a suggéré de l’abroger et de le remplacer par le texte suivant :
« La victime a le droit de demander à l’employeur devant la juridiction de Sécurité Sociale, la réparation de l’ensemble des préjudices qui ne sont pas indemnisés pour l’intégralité de leur montant par les prestations, majorations et indemnités prévues par le présent livre ».
Toutefois, le projet de réforme du droit de la responsabilité, en cours de discussion, ne traite pas de la faute inexcusable. Il semble que le refus de la Cour de cassation d’interpréter la décision du Conseil Constitutionnel dans un sens favorable aux victimes et le rejet d’application des règles européennes, soient pour elle une manière de faire pression sur le législateur afin qu’il modifie les textes.
Elle avait adopté une semblable attitude en matière d’accidents de la circulation avant la loi du 05/07/85. Ce faisant, elle pénalise les victimes dont le sort est régi par les dispositions actuellement applicables. Mais, son attitude peut aussi être analysée au regard de l’évolution de sa jurisprudence présente ou à venir, dont il résulte ou il résultera clairement, qu’elle n’accepte plus de postes de préjudices autres que ceux visés à la nomenclature DINTILHAC, alors même que cette liste n’a aucune valeur normative, et qu’il a toujours été précisé qu’elle était simplement indicative.
Elle entend également globaliser, autant que faire se peut, les différents postes de préjudice, ce qui entrainera nécessairement une diminution de l’indemnisation des victimes. S’agissant de la faute inexcusable, il est envisageable de saisir à nouveau le Conseil Constitutionnel, mais la Cour de cassation peut toujours refuser de lui transmettre une question prioritaire de constitutionnalité. Reste enfin la possibilité de saisir les juridictions européennes. Une nouvelle fois donc, les avocats de victimes devront faire preuve d’imagination et de créativité.