La loi du 5 juillet 1985, dite Loi Badinter, concerne l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation.
De la responsabilité à l’indemnisation
En substance, la loi a supprimé le principe de responsabilité de l’auteur de l’accident pour y substituer celui d’indemnisation de la victime. Celle-ci doit être indemnisée sauf s’il est prouvé qu’elle a commis une faute. Ce renversement de la charge de la preuve a des conséquences pratiques très importantes puisque si les circonstances de l’accident demeurent indéterminées, la victime a droit à l’indemnisation de l’intégralité de son préjudice. En outre, si la victime n’était pas conductrice d’un véhicule terrestre à moteur la faute, pour lui être opposable, doit être inexcusable et la cause exclusive de l’accident. Ces deux conditions cumulatives n’existent en pratique quasiment jamais.
En plus de 30 ans d’application de la loi, moins de 10 cas ont été retenus par la Cour de Cassation (Cour suprême française).
L’obligation pour l’assureur de présenter une offre d’indemnisation à la victime
Le deuxième principe retenu par la Loi du 05/07/85 est que l’assureur de l’auteur de l’accident a l’obligation de formuler une offre d’indemnisation à la victime, offre provisionnelle dans un délai de 3 mois suivant l’accident et offre définitive dans un délai de 5 mois suivant la consolidation (c’est-à-dire le moment où l’état de la victime est stabilisé comme ne pouvant ni s’améliorer, ni s’aggraver).
Si les offres n’ont pas été faites dans le délai prévu par la Loi, les sommes allouées à la victime portent intérêts de plein droit au double du taux légal, soit jusqu’au jour d’une décision de Justice définitive, soit jusqu’à celui d’une offre complète et suffisante de la part de l’assureur. Lorsque les taux d’intérêts sont bas, l’incidence financière est peu importante. Mais actuellement, le taux de l’intérêt légal est en France de 4,54 % lorsque le créancier est un particulier, ce qui représente une pénalité de 9, 08 % par an. En outre, les intérêts peuvent se capitaliser à la demande de la victime. Compte-tenu de la longueur des procédures en France (plusieurs années), l’enjeu financier est donc très important.
Les postes de préjudices indemnisables (pour les victimes directes)
Les postes de préjudices indemnisables au regard du droit français ont été définis par une nomenclature dite DINTILHAC (du nom du Président de la Commission qui l’a instaurée). Elle distingue entre préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux, et entre préjudices temporaires et définitifs (avant et après consolidation).
Ces postes de préjudices sont les suivants.
Les préjudices patrimoniaux temporaires
- dépenses de santé actuelles
- frais divers, incluant notamment les honoraires de médecin conseil, les frais de transports, de garde d’enfants, d’adaptation temporaire d’un
- véhicule ou d’un logement
- assistance par tierce personne
- perte de gains professionnels actuels
Les préjudices patrimoniaux définitifs
- dépenses de santé futures
- frais de logement adapté
- frais de véhicule adapté
- assistance par tierce personne
- perte de gains professionnels futurs
- incidence professionnelle. Elle est distincte des pertes de gains professionnels futurs puisqu’indemnisant le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d’une chance professionnelle ou de l’augmentation de la pénibilité de l’emploi qu’elle occupe, ou encore de la nécessité de devoir abandonner la profession qu’elle exerçait avant le dommage au profit d’une autre qu’elle a dû choisir en raison de la survenance de son handicap, mais également les frais de reclassement professionnel, de formation ou de changement de poste.
- préjudice scolaire, universitaire, ou de formation
Les préjudices extrapatrimoniaux temporaires
- déficit fonctionnel temporaire. Indemnisation de l’invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle jusqu’à sa consolidation, indépendante de toute perte de revenus.
- souffrances endurées
- préjudice esthétique temporaire
Les préjudices extrapatrimoniaux permanents
- déficit fonctionnel permanent. Il inclue non seulement les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime, mais aussi la douleur permanente qu’elle ressent, la perte de la qualité de vie et les troubles dans les conditions d’existence qu’elle rencontre au quotidien après sa consolidation.
- préjudice d’agrément, préjudice spécifique lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité sportive ou de loisirs
- préjudice esthétique permanent
- préjudice sexuel qui peut être l’impossibilité physique d’avoir des rapports sexuels, l’impossibilité de procréer ou la perte de libido
- préjudice d’établissement : perte d’espoir, de chance ou de toute possibilité de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap permanent dont reste atteinte la victime après sa consolidation
Bien que cette liste soit initialement conçue comme indicative, la Cour de Cassation considère désormais qu’elle est exhaustive et limitative.
L’évaluation des préjudices des victimes directes
Les postes de préjudices patrimoniaux sont indemnisés sur la base de justificatifs. Pour ceux permanents, l’indemnisation peut se faire sous forme de rente ou d’une capitalisation. Les barèmes actuellement retenus par les juridictions françaises sont fondés sur des tables de mortalité 2006/2008, et un taux d’intérêt de 1, 2 %. Jusqu’à il y a peu, ces barèmes ont été combattus par les assureurs français qui désormais ne le contestent quasiment plus. L’association française de l’assurance applique au demeurant un barème fondé sur les mêmes tables de mortalité, et un taux d’intérêt de 1, 9 %, soit donc très proche.
Les préjudices extrapatrimoniaux, même s’il n’existe pas de barème en France, sont généralement indemnisés comme suit :
- déficit fonctionnel temporaire : 23 € par jour
- souffrances endurées : de 1 500 € à 70 000 €
- préjudice esthétique temporaire : jusqu’à 10 000 €
- déficit fonctionnel permanent : sur la base d’une valeur du point d’incapacité, en fonction du taux de cette incapacité et de l’âge de la victime, pouvant aller de 800 € jusqu’à 8 200 € le point (à titre d’exemple, une victime âgée de plus de 80 ans et ayant un taux de 1 % se verra accorder 800 €, alors que celle âgée de moins de 10 ans et présentant un taux proche de 100 % sera indemnisée sur une base de 800 000 €)
- préjudice d’agrément : jusqu’à 40 000 €
- préjudice esthétique permanent : de 1 500 € à 70 000 €
- préjudice sexuel : jusqu’à 50 000 €
- préjudice d’établissement : jusqu’à 50 000 €
Les préjudices des victimes indirectes
Les victimes indirectes sont également indemnisées. Leurs préjudices patrimoniaux, c’est-à-dire les frais d’obsèques et les pertes de revenus, sur la base de justificatifs, et pour les préjudices d’affection résultant du décès d’un proche, comme suit :
- pour la perte d’un conjoint : 20 000 € à 30 000 €
- pour la perte d’un enfant : 20 000 € à 30 000 €
- pour la perte d’un père ou d’une mère : 10 000 € à 30 000 €
- pour la perte d’un frère ou d’une sœur : 9 000 € à 14 000 €
- pour la perte d’un petit-enfant : 7 000 € à 14 000 €
- pour la perte d’un grand-parent : 3 000 € à 10 000 €
- pour la perte d’autres parents ou proches : jusqu’à 3 000 € sur justificatifs des liens de proximité
Le préjudice d’accompagnement, résultant du fait de vivre avec une personne handicapée, est également indemnisable dans les mêmes conditions. Le préjudice sexuel du conjoint de la victime handicapée peut aussi être indemnisé sur une base d’environ 15 000 €.
Le recours des organismes sociaux et des employeurs
Les organismes sociaux et les employeurs disposent d’un recours subrogatoire pour les prestations ou les salaires qu’ils ont payées pour le compte de leur assuré ou de leur salarié. Ce recours s’exerce «poste par poste». Là encore l’assureur a l’obligation de prendre contact avec l’organisme social de la victime pour lui demander de lui communiquer le montant de sa créance. S’il ne le fait pas et qu’il a directement indemnisé la victime sans tenir compte des sommes que cette dernière avait déjà perçues de la part de son organisme social, il s’expose à un double payement.
Quelques éléments de comparaison
Une étude comparative au niveau européen permet d’établir que la victime d’un accident de la circulation en France est très bien indemnisée (sensiblement dans les mêmes conditions qu’au Royaume-Uni), alors qu’en revanche, le pays où l’indemnisation est la plus faible est la Grèce, suivi de l’Espagne qui applique des barèmes faibles.
A titre d’exemple, en France le coût de l’indemnisation d’un paraplégique et de ses organismes sociaux est au minimum de 5 millions d’euros.
En Italie, l’indemnisation des préjudices corporels extrapatrimoniaux des victimes est généralement modeste alors que l’indemnisation des préjudices moraux des victimes indirectes est extrêmement élevée.
Quelques règles de procédure
L’indemnisation de la victime d’un accident de la circulation relève exclusivement de la compétence des juridictions civiles, même si le véhicule qui a causé les dommages appartient à l’Etat ou à une Administration.
Il existe trois juridictions civiles en France compétentes en raison du montant de la demande :
- le Juge de Proximité : jusqu’à 4 000 €
- le Tribunal d’Instance : de 4 000 € à 10 000 €
- le Tribunal de Grande Instance : à partir de 10 000 €
Les décisions de première instance sont susceptibles d’appel à condition que les demandes initiales aient été supérieures à 4 000 €. Enfin, il existe une cour suprême appelée Cour de Cassation qui ne rejuge pas une troisième fois les litiges mais sanctionne d’éventuelles erreurs de droit commises par les cours d’appel.
Devant les juridictions civiles, les témoins, sauf exception, ne comparaissent pas, mais établissent leur témoignage par écrit. L’action civile peut également être exercée devant les juridictions pénales lorsque l’auteur de l’accident fait l’objet de poursuites. On parle de constitution de partie civile.
Une telle formule est toutefois déconseillée car très fréquemment les magistrats ne sont pas compétents pour statuer sur une demande d’indemnisation d’une victime d’accident corporel et les délais de procédure sont encore plus longs que devant les juridictions civiles. La victime a donc intérêt à intervenir au procès pénal pour obtenir la condamnation de l’auteur de l’accident et la reconnaissance de son statut de victime, puis à demander à une juridiction civile l’indemnisation de son préjudice.
Il n’y a pas d’incompatibilité entre la législation française et les règlements européens.
L’apport le plus important de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne est l’arrêt Odenbreit du 13/12/07 qui permet à la victime d’un accident de la circulation dans un pays étranger d’exercer une action directe devant le tribunal de son domicile contre l’assureur de l’auteur de cet accident. La limite de ce système est que le juge doit appliquer la loi du lieu de l’accident, c’est-à-dire une loi étrangère pour lui et que donc, sauf exception, il ne maitrise pas.