L’augmentation du parc automobile et du trafic transfrontalier entraine nécessairement une multiplication d’accidents de la circulation entre véhicules immatriculés dans des pays différents. La victime d’un tel accident qui souhaite être judiciairement indemnisée va se trouver confrontée à un double problème :
- celui du tribunal compétent pour statuer sur ses demandes,
- et celui de la loi applicable à la responsabilité et à l’évaluation de son préjudice.
Bien souvent, elle sera dans l’obligation de mettre en œuvre une procédure dans le pays étranger où s’est produit l’accident, ce qui implique des difficultés en raison de la méconnaissance de la langue et du système juridique.
C’est pour pallier à ces situations qu’a été instaurée la quatrième directive automobile qui permet en substance à une victime d’un accident de la circulation, d’être amiablement indemnisée dans son pays par l’intermédiaire d’un représentant de la compagnie étrangère de l’auteur de l’accident dont elle a été victime. Cette directive s’inscrit dans la logique d’un système international d’assurance original dit « carte verte ».
Le tribunal compétent
Dans le cas d’un accident survenu à l’intérieur de la CEE, s’applique le règlement
CE n° 44-2001 du 22/12/00 (anciennement convention de Bruxelles) qui pose le principe de la compétence du tribunal du défendeur.
Toutefois, en matière délictuelle (comme cela est le cas d’un accident de la circulation), la victime peut aussi saisir le tribunal du lieu du fait dommageable, c’est-à-dire celui où l’accident s’est produit. Depuis l’arrêt de la Cour de justice des Communautés Européennes du 13/12/07, il lui est également possible de mettre en œuvre une procédure devant le tribunal de son domicile à l’encontre de l’assureur de l’auteur de l’accident.
Ces règles sont impératives et excluent formellement la possibilité pour les parties de se prévaloir d’un privilège de juridiction comme celui prévu, par exemple pour les français, par les articles 14 et 15 du Code civil.
Si l’accident s’est produit hors CEE, et sauf convention bilatérale entre le pays où réside la victime et celui où s’est produit l’accident, il y aura le plus souvent conflit entre le tribunal dans le ressort duquel demeure le défendeur (l’auteur de l’accident), et celui où réside la victime. La victime aura toutefois le plus souvent intérêt à saisir le tribunal du lieu où demeure son adversaire afin notamment de pouvoir procéder à l’exécution du jugement. Ainsi par exemple, la victime américaine d’un accident de la circulation causé aux USA par un français, n’a aucun intérêt à saisir un tribunal américain.
Il suffit en effet que le conducteur français excipe du privilège de juridiction pour que le jugement rendu aux USA soit insusceptible d’exequatur en France.
La loi applicable pour les accidents de la circulation internationaux
Selon les principes généraux du droit international privé, la juridiction saisie tranche les conflits de la loi en appliquant ses propres règles de droit interne. Bien évidemment, s’il existe une convention internationale ratifiée par le pays dans lequel se déroule le procès, le tribunal doit l’appliquer.
Il en va ainsi de la convention de La Haye du 04/05/71 relative aux accidents de la circulation, signée notamment par la France et 19 autres pays européens. Elle pose le principe de l’application de la loi du pays dans lequel s’est produit l’accident.
Par exception, lorsque tous les véhicules impliqués dans l’accident sont immatriculés dans le même pays, c’est la loi de ce pays qui s’appliquera. La loi déclarée applicable par la convention peut être écartée lorsqu’elle est incompatible avec l’ordre public international.
Tel n’est pas le cas pour la jurisprudence française d’une loi étrangère au seul motif qu’elle est moins protectrice des intérêts de la victime que la loi du 05/07/85. D’une manière générale donc, celle-ci n’a pas vocation à s’appliquer pour des accidents survenus à un français à l’étranger sauf si les parties acceptent conventionnellement de s’y soumettre, ce qu’autorise la convention de La Haye. Cette dernière ne s’applique pas aux obligations contractuelles issues par exemple d’un transport de voyageurs ni aux recours des organismes sociaux qui sont régis par leur loi nationale.
Le règlement « Rome II » du 31/07/07, qui entrera en vigueur le 11/01/09, pose des principes équivalents. Il n’aura toutefois pas vocation à s’appliquer en présence d’une convention internationale réglant les conflits en matière d’obligations non contractuelles, convention à laquelle un ou plusieurs Etats membres sont parties. Tel est le cas de la convention de La Haye.
En revanche, il primera sur des conventions bilatérales conclues entre deux Etats membres. Hors champ d’application de la convention de La Haye, deux systèmes sont possibles : le plus répandu : la « lex loci delicti » et celui pratiqué dans le pays anglo-saxons : la loi du pays où demeure la victime. La loi déclarée applicable par le tribunal régit l’intégralité du problème posé par un accident de la circulation et notamment la question de responsabilité, de l’étendue de la réparation et de la prescription. Cette dernière peut être très courte (2 ans en Italie ou même 1 an en Espagne).
Les difficultés posées par les règles actuelles
Les règles en vigueur conduisent bien souvent à des difficultés pratiques puisque le tribunal compétent devra appliquer une loi étrangère que, par définition, il ne connaît pas ou en tout cas moins bien que sa loi nationale.
Tel est le cas dans l’exemple précité de l’accident de la circulation survenu aux États-Unis et causé par un français où la victime américaine devra initier sa procédure devant un juge français, à charge pour ce dernier d’appliquer la loi de l’état des États-Unis où s’est produit l’accident, précision étant faite que ce droit est pour l’essentiel non écrit et jurisprudentiel…
Dans l’hypothèse d’un accident de la circulation survenu en Angleterre entre deux véhicules, l’un immatriculé en France et l’autre en Angleterre, le passager transporté dans le véhicule français, s’il est blessé, aura le choix d’assigner le conducteur de la voiture dans laquelle il se trouvait, ce qui conduira à la compétence d’un tribunal français et à l’application de la loi anglaise, ou de saisir le tribunal du domicile du conducteur anglais qui devra appliquer la loi française…
Le système du « forum shopping » peut, s’il est habilement utiliser, favoriser les intérêts de la victime qui pourra choisir la loi qui lui est la plus favorable. Il est toutefois source d’insécurité juridique.
La commission d’indemnisation des victimes d’infraction
Dès lors que la loi du 05/07/85 n’est pas applicable, la victime française d’un accident de la circulation survenu à l’étranger (ou ses ayants droit) a la possibilité d’être indemnisée par la CIVI lorsque l’accident a entrainé sa mort, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail égale ou supérieure à un mois, sous réserve que les circonstances de l’accident correspondent à l’élément matériel d’une infraction.
L’indemnisation a lieu dans les conditions prévues par les articles 706-3 et suivants du Code de procédure pénale.
Le système « Carte verte »
Chacun des pays adhérents (48) a institué des bureaux auxquels adhèrent obligatoirement tous les assureurs pratiquant l’assurance de responsabilité automobile, bureaux qui ont un double rôle : d’une part émettre des attestations d’assurance internationales, dites « carte verte », et d’autre part garantir l’indemnisation des dommages causés par des véhicules immatriculés à l’étranger sur leur territoire national.
En France, ce rôle est joué par le Bureau Central Français qui, en cas d’accident causé en France par un automobiliste étranger, est chargé de gérer le sinistre pour le compte de l’assureur étranger.
Dans la pratique, ce rôle est le plus souvent délégué à des correspondants qui sont soit eux-mêmes des assureurs, soit des bureaux internationaux de règlement de sinistres. Ceux-ci ne sont toutefois que des mandataires, de telle sorte qu’il n’est pas possible de les assigner. La mise en cause de l’assureur étranger se fait donc, soit directement, soit par l’intermédiaire du Bureau Central Français pris en sa qualité de débiteur délégué.
La quatrième directive automobile
Le système « carte verte » qui garantit l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation causés par des conducteurs de véhicules immatriculés à l’étranger, a été complété par la 4ème directive européenne n° 2000-26 du 16/05/00 relative à l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation survenus à l’étranger (entrée en vigueur en France le 22/12/03).
Il a été considéré qu’il était anormal qu’une victime soit dans l’obligation de faire un recours dans un pays dont elle ne maîtrisait ni la langue, ni le système juridique.
La 4ème directive automobile a donc instauré diverses obligations :
- Chaque assureur doit désigner un représentant dans chacun des pays de la CEE afin d’indemniser les victimes d’accidents causés par ses assurés. Le représentant doit bien évidemment pratiquer la langue de la victime, mais également disposer des pouvoirs suffisants pour transiger.
- Les assureurs sont tenus de créer un organisme d’information permettant à toute victime d’obtenir les coordonnées de l’assureur du véhicule impliqué dans l’accident dont elle a été victime en fournissant simplement son numéro d’immatriculation. Cet organisme en France est l’AGIRA.
- L’assureur ou son représentant local doit, dans un délai de 3 mois à compter de la demande qui lui est faite, soumettre aux victimes une offre motivée ou un refus également motivé. S’il ne respecte pas cette obligation, l’assureur s’expose à des pénalités financières définies par chaque état membre.
- Ceux-ci ont l’obligation de créer un organisme d’indemnisation auquel la victime peut s’adresser si l’assureur du véhicule auteur de l’accident n’a pas désigné de représentant dans son pays de résidence, ou si le correspondant de ce dernier ne lui a pas transmis d’offre motivée dans un délai de trois mois. Cet organisme d’indemnisation (en France, le Fonds de Garantie Automobile) procédera à l’indemnisation de la victime pour le compte de l’organisme d’indemnisation du pays dans lequel l’assureur du responsable a son siège social, organisme qui lui-même se retournera ensuite contre ledit assureur.
Il est d’autre part prévu un droit d’action directe contre l’assureur du conducteur responsable, ce qui est conforme à la directive 2005/14/CE. Il faut toutefois savoir que la victime qui a introduit une action directe ou même s’est adressée directement dans le cadre d’un recours amiable à l’entreprise d’assurance étrangère, n’a plus accès à l’organisme d’indemnisation.
Vers un système cohérent ?
L’arrêt de la Cour de justice des Communautés Européennes du 13/12/07 marque un progrès certain pour la victime d’un accident survenu à l’étranger puisqu’il lui permet désormais d’exercer une action directe contre l’assureur de l’auteur de cet accident devant le tribunal de son domicile.
Néanmoins, le juge sera tenu d’appliquer la loi du pays dans lequel s’est produit l’accident. Il est souhaitable qu’à terme, il y ait cohérence entre juridiction compétente et droit applicable. Tel n’est pas le cas en l’état puisque le règlement « Rome II » a maintenu le principe de la « lex loci damni », c’est-à-dire en pratique, la loi du lieu où s’est produit l’accident. Le problème pourrait être résolu si, au sein de la CEE, existait une loi uniforme régissant tant la responsabilité que l’indemnisation. Cela toutefois ne peut en l’état être considéré que comme un vœu pieu.